To go with the flow...
Je fais escale à Vashisht quelques jours seulement, le temps de récupérer du dernier trajet en bus depuis Delhi, qu’il a fallu quitter, car elle étouffe sous la chaleur.
Pour m’en abriter et parce que je suis en avance pour prendre le bus, je décide d’attendre son départ dans un café. Il n’y a personne à part un homme, aussi mince qu’une tige de papaye, déjà bien chauve, qui me regarde derrière ses lunettes rondes, lui donnant l’air d’une chouette interloquée. Je tente un Namaste et ça a le mérite de décoincer notre bonhomme qui me répond par un grand sourire édenté, « Namaste, Namaste Madam’ ».Tout revient dans l’ordre. Le bruit dominant est le bourdonnement d’une mouche survolant l’immobilité du bistrot. Il y a cette torpeur palpable qui nous hébète.
Il se passe une éternité me semble-t-il, avant que le serveur, haletant et couvert de poussière finisse par se montrer. Il est suivi par une silhouette crasseuse portant une chemise sale et un dhoti encore plus tâché, il trimballe un sac de toile cirée noire dont une extrémité laisse échapper un filet d’eau qui s’écoule implacablement sur le sol carrelé. Enguirlandées de celui qui semble être le patron, il y va, pour valider ce qu’il dit, à grands mouvements de bras accusateurs qui pointent contre le sol, doigts tenus bien droits en avant. Le pauvre bougre déguerpit aussi vite qu’il peut avec sa besace fuitée, laissant une traînée d’eau après son passage.
Un ange et le temps passent, il est finalement l’heure
de prendre place assise dans le bus. Il n’y a en effet plus de bus sleeper
(couchettes) me dit-on, depuis qu’une israélienne serait passée par la fenêtre
dans un virage… Il est vrai que ça tourne pour atteindre ce village d’Himachal
Pradesh, annonçant le pré-Himalaya...
Soit…
Remarquez, ce n’est pas tant que j’aurais pu dormir sur la couchette, mais le corps est tout de même moins cassé en arrivant.
I stop at Vashisht only for a few days, mostly to recover
from the last bus trip from Delhi, which had to be escaped becauseof its
suffocating heat.
To get some shelter from the sun and because l am earl
to take the bus, l decide to wait for its departure in a cafe. There is no one excepts
a man, as thin as a papaya stalk, already quite bald, who looks at me from behind
his round glasses, making him look like a dumbfounded owl. I try a Namaste and
it has the merit of unstuck our guy who answers me a big toothless smile, « Namaste,
Namaste Madam’ ».
Everything is back to normal. The dominant noise is
the buzz of a fly overflying the stillness of the bistro. There is this
palpable torpor that stuns us. It seems like forever before the waiter, panting
and covered in dust, finally shows up. He is followed by a grimy figure wearing
a dirty shirt and an even more stained dhoti. He carries around a black
oilcloth bag whose end lets out a trickle of water which flows relentlesslyy on
the tiled floor. Garlanded by the one who seems to be the boss, he goes there
to validate what he says, with large accusing movements of the arms that point
against the ground, fingers held straight forward. The poor fellow takes off as
fast as he can with his leaky satchel, leaving a trail of water after his
passage.
An angel and time flies, it is finally time to take a
seat on the bus. There are in fact no more sleeper buses, am l told, since an
lsraeli girl went through the window on a bend…. It is true that it turns a lot
to reach this village of Himachal Pradesh, announcing the meadow-Himalayas….
Okaaaaay…
Mind you, it is not that l could have slept better or
more on a the bunk, but the body would still be less broken when l will get
there…
Il fait déjà meilleur à Vashisht.
Comme je le disais plus haut, je n’y fais que passer, le temps de réserver mon
autre billet de bus pour monter au Ladakh. C’est un gros van qui vient
me chercher au milieu de la nuit.
Enfin…
J’ai rendez-vous sur la
place du village à 2h du matin, sous une nuit sans lune, chargée de mon barda,
pour attendre le mini-bus qui doit me récupérer. Je ne suis pas tout-à-fait
rassurée de me retrouver là, seule, et décide de me poser dans un coin planqué,
à l’abri de la lueur des lampadaires, mais avec vue sur toute la place, pour
pouvoir me retourner au cas où…. (Bon…les réverbères, qui au mieux de leur forme
clignotent sans enthousiasme, ont même cessé de s’y essayer et se sont
maintenant complètement éteints sur le haut côté de la rue….)
Ce que je crains le plus me
demanderez-vous ? Un groupe de mecs bourrés, heureusement il n’en est rien…
Il passe bien un groupe de gars, dont un qui vient faire un petit détour dans
ma direction afin de satisfaire son évidente curiosité, « mais qu’est- ce-que
cette nana fait là toute seule ?! », semble dire son expression, mais rien de plus.
S’en suit évidemment la
crainte du « bus qui n’arrive jamais », puisque les 2h sont depuis
longtemps déjà passées. Me serais-je fait rouler ou alors m’aurait-on oubliée ?
Mon téléphone ne sonne pas et je peine à refréner mes doutes, surtout lorsque
je contemple la myriade de véhicules parqués là, en tous sens, avec aucun
espoir de voir le mini-bus se faufiler jusqu’ici. Voilà où j’en suis dans mes
pérégrinations internes lorsque je vois finalement un faisceau lumineux en
contre-bas, au tout début de la pente. J’entends ensuite des coups de klaxons répétés
qui résonnent contre les flancs des montagnes endormies. Cela doit être le
fameux mini-van.
J’empoigne mes affaires d’un
mouvement vif et dégringole la pente où je vois 3 bus parqués. Devant le faisceau
de leurs phares, évoluent des silhouettes avec sacs dans une légère confusion, où
chacun cherche à caser son bagage puis ses fesses. Je vérifie le n° de plaque, information
qui m’a heureusement été transmise par l’agence à qui j’ai acheté mon ticket,
trouve mon van et m’installe à l’avant, juste à côté du conducteur, comme
convenu avec l’agence où j’ai fait jurer au mec de me réserver cette place-là
et pas une autre. La route est tellement sensationnelle que cela vaut vraiment
la peine d’être bien située. Et puisque ce trajet va durer au moins 18h, être
aux premières loges semble être le minimum.
J’ai d’abord mes doutes
face au chauffeur alors que nous peinons à quitter Vashisht. Serait-il
saoul ?! Il conduit extrêmement lentement, par à-coups, tourne la tête
pour regarder je ne sais quoi dans ce noir, puis il me semble qu’il attend un
coup de téléphone. Manquerait-il quelqu’un dans le bus ? Enfin, comme
souvent ici, les mystères le restent et nous entamons notre montée, comme si de
rien n’était.
Il n’y a pas un chat sur la
route, que des virages serrés contre la roche. Le convoi est principalement
composé d’israéliens, avec quelques touristes indiens aussi. Assez vite il devient
silencieux, c’est le milieu de la nuit, il règne cette quiétude seulement
dérangée par les à-coups du bus et ses bruits de cliquetis métalliques. Les
contours de la route se dévoilent sous le rai des phares, succession de virages
qui sentent encore la végétation jusqu’à ce nous atteignons le Rothang pass,
et redescendons son flanc nord. Au col, l’air est très crû, il y a encore de la
neige.
It is already doing better
in Vashisht. As l said above, l’m just spending time there to book my other bus
ticket to go up to Ladakh. It’s a big van picking me up in the middle of the
night.
Well…
I have an appointment in
the village at 2 AM, under a moonless night, loaded with my stuff, to wait for
the mini-bus to pick me up. I am not comptelely reassured to find myself there,
alone, and decide to settle down in a hidden corner, sheltered from the glare
of the lampposts, but with a view of the whole squate, so that l can turn back
to the case where… (Okay… the street lights, which at their best flicker
half-heartedly, have even given up trying it out and have now gone completely
out on the high side of the street…)
What l fear the most A
group of drunk gusys, fortunately it is not… A group of gueys goes, including
one who comes to make a little detour in my direction in order to satisfy his
obvious curiosit, « but what is this chick does here all alone, seems to
say his expression, but nothing more.
Obviouslsy, follows the
fear of the « but that never arrives », since the 2AM have long
passed. Would l have been tricked or have l been forgotten ? My phone is
not ringing and l can hardly contain my doubts, especially when l contemplage
the myriad of vehicles parked there, in all directions, with no hope of seeing
the mini-bus squieeze in there… This is where i am in my interrnal wanderings
when l finally see a beam of light below, at the very beginning of the slope. Then
l hear reapeated blasts of horns echoing against the sides of the sleepsy
mountains. This must be the famous mini-van.
I grab my things with a
quick movement and tumble down the slope where l see 3 parked buses. In front
of their headlight’s beam, silhouettes evolve with bags in a slight confusion,
where each one tries to fit his luggage then his buttocks. I check the license
plate number, information which luckily was sent to me by the agency from which
l bought m ticket, find m van and sit in the front, right next to the driver,
as agreed with the agency where l made the guy swear to reserve me that place and
not another. The road is so sensational that it is well worth the location. And
since this trip will last at least 18 hours, having a front row seat seems to
be the minimum. First l have my doubts about the driver as he struggle to leave
Vashisht. Would he be drunk ?! He drives extremely slowly, jerks, turns in
head to look at something inthe darkness, and then it seems to me he is waiting
for a phone. Is ansyone missing on the bus ? Finally, as often here, the
mysteries remain and we begin our ascent, as if nothing had happened. There is
not a cat on the road, only sharp bends against the rock. The convoy is mainly
made up of Israelis, with a few Indian tourists as well. Quite quickly it
becomes silent, it is the middle of the night, there reigns this quietude only
disturbed by the jerks of the bus and its metallic clattering noises. The contours
of the road are revealed under the beans of the headlights, a succession of
bends that still smell of vegetation until reach the Rothang pass and descend
its northern side. At the pass, the air is very harsh, there is still snow.
Nous roulons encore quelques heures avant que la timide lumière de jour levant ne fasse son apparition. Cela correspond au moment où nous croisons pour la première fois des dhabas (resto local) le long de la route, nous y faisons halte. Il est bon de siroter 2-3 chais dans cette ambiance toujours particulière de l’aube, sur la route.
Chacun est un peu sonné par le voyage et le manque de sommeil. Les membres
sont engourdis et il fait bon les étirer devant un panorama de pans de
montagnes s’étirant vers le ciel. La poussière se déplace au gré du vent qui porte
un souffle sur la vallée, l’air est frais mais pas glacial, c’est même agréable
après la fournaise de la plaine.
We drive a few more hours before the timid rising daylight makes its appearance. This corresponds to the momebtn when we cross for the first time dhabas (local restaurant) along the road, we stop there. It is good to sip 2-3 cellars in this always special atmosphere of dawn, on the road.
Everyone is a little stunned by the trip and lack of sleep. The limbs are numb and it is good to stretch them out in front of a panorama of sections of mountains stretching towards the sky. The dust moves with the wind which blows the valley, the air is cool but not freezing, it is even pleasant after the furnace of the plain.
Après la pause déjeuner, le
véhicule reprend ses ballottements. Nous croisons un troupeau, une caravane, découvrons les
montagnes qui sont encore recouvertes de mousses et buissons, mais leurs pics
sont sous la neige. Puis, la végétation disparaît tout-à-fait, faisant place à
un panorama lunaire, qui m’émeut toujours autant, malgré l’austérité que cela
peut dégager. Nous découvrons alors les couleurs aux ocre, kaki, taupe, beige,
brun, vert doux qui semblent onduler sur les reliefs montagneux, se succédant,
en ne cessant de changer. Pas une seule maison à perte de vue. Il n’y a que des
véhicules se déplaçant cahin-caha sur cette unique route qui monte jusqu’à Leh,
de ce côté-ci du grand nord indien (la deuxième passant par le Cashmere,
à l’ouest, à la frontière avec le Pakistan).
After the lunch break, the
vehicle resumes its sloshing. We cross a herd, discover the mountains which are
still covered with mosses and bushes but their peaks are under the snow. Then the
vegetation disappears altogether, giving way to a lunar panorama, which still
moves me as much, despite the austerity that it can exude. We then discover the
colors of ocher, khaki, taupe, beige, brown, soft green which seem to undualte
on the mountainous reliefs, succeeding each other, constanly changing. Not a single
house as far as the eye can see. There are only vehicles moving chugging, along
this single road which climbs up to Leh, on this side of the great north of
lndia (the second passing through Kashmir, to the West, on the border with
Pakistan).
Cette route qu’il faut constamment entretenir les quelques mois où elle est ouverte, de mai à septembre seulement. Après la neige reprend ses droits et recouvre tout. Ce bout de l’lnde se coupera alors du reste du monde. Des bougres nécessiteux, venus du Bihar, l’état indien le plus pauvre, font le sale boulot. Ils cassent des pierres le long de la route, les charrient sur le dos, chauffent du goudron dans des barils cabossés, puis l’un d’eux va conduire le rouleau-compresseur qui va nous aplatir cette masse noire qui fume et empeste. Ils sont eux aussi noircis par cette fumée et la poussière de ces montagnes. Ils dorment sous des bâches en plastique à plus de 3000m d’altitude, alors qu’ils viennent de la plaine, jamais vu la neige avant. Il y a des hommes et des femmes, portant leurs enfants, emmaillotés sur leur dos. Ils bossent tous dans leur chemise en coton, il n'est pas question du dernier matos high-tech ici. Ils n'ont pas non plus le sac de couchage qui peut supporter les -30°C, à la place, une vague couverture.
Notre convoi passe
et seuls des regards, un peu béats de chaque côté de la vitre, se croisent. Ce suscitera
néanmoins une réflexion vive chez moi sur les inégalités de ce monde, les karmas de chacun et aucune explication
qui ne fasse vraiment l’affaire.
This roads that needs constant maintenance during the few months it is open, from May to September only. After the snow take back its rights and covers everything. This end of lndia will then be cut off from the rest of the world. Needy buggers from Bihar, lndia’s poorest state, are diong the dirty work. They break stones along the road, cart them on their bacsks, heat tat in dented barrels, then on fo them will drive the streamroller that will flatten this black mass that smokes and stinks. They too are blackened by this smoke and dust from these mountains. They sleep under plactic sheeting at an altitude over 3000m, even thoug they come from the plain, never seen snow before. There are men and women. carrying their children, swaddled on ttheir backs. They all work in their cotton shirts, there is no question of the lastest high-teck gear here. They also don't have the sleeping back that can withstand -30°C, instead a vague blanket.
Our convoy passes and only glances meet, a little dazed on each side of the window. It will however provoke a lively reflection in me on the inequalities of this world, the karmas of each and no explanation that really does the trick or makes any sense.
Inexorablement, nous continuons notre ascension. Au fil des heures, le bleu du ciel s’intensifie et devient franc, lumineux. Les montagnes ne sont plus que pierrailles obscures, déboulées des sommets. Voilà maintenant que les flancs se recouvrent de neige, de larges rigoles d’eau se forment le long de la route/piste et les camions qui peinent déjà à avancer, sont maintenant complètement bloqués. Nous sommes arrêtés à plusieurs endroits car ça patine sous les roues de ces mastodontes colorés.
Inexorably, we continue our ascent. Over the hours, the blue of the sky intensifies and becomes frank, luminous. The mountains are nothing more than dark stones, tumbled down from the summits. Now the sides are covered with snow, large water channels formed along the road/track and the trucks already struggling to move forward, were now completely blocked. We stopped at several places because it skates under the wheels of these colorful behemoths.
Dans le bus, c’est le plus souvent
silencieux. On entend des déclics d’appareils photos de temps à autre, pendant que
certains arrivent à dormir en toute impunité.
On the bus it is mostly
quiet. Camera clicks are heard from time to time, while some can sleep with impunity.
Nous faisons ensuite une
pause dîner, là où se trouve une lignée de restaurants, perdus dans ce grand
nulle part. Je suis sonnée par l’altitude, une énorme fatigue m’étreint. Je n’ai
plus faim mais pourrais dormir là par terre tant je suis accablée. Je bois
beaucoup d’eau à la place, socialise un peu avec les autres voyageurs et fume
quelques clopes en sirotant un chai avant que nous continuons notre route.
We take a dinner break,
where there is finally a line of restaurants, lost in this big nowhere. I am stunned
by the altitude, enormous fatigue grips me. I am no longer hungry but could
sleep there on the floor as l am so overwhelmed. I drink a lot of water instead,
socialize a bit with the other travelers and smoke a few cigarettes while
sipping a chai before we continue our way.
La prochaine étape sera le
passage du col Taglangla, qui culmine tout de même à 5328m ! Nous sommes principalement en
terres bouddhistes et alors se trouve un petit temple là, agrémentés des
drapeaux de prières colorés, qui flappent au vent.
The next step will be the passage of the Taglangla pass, which culminates all the same at 5328m ! We are mainly in Buddhist lands and so there is a small temple there, decorated with colorful prayer flags which flap in the wind.
Il y a finalement pas mal
de monde sur cette route. Entre les camions qui avancent comme des escargots,
mais avancent quand même, les mini-vans comme le notre trimballant leur lot de
touristes (étrangers ou indiens), les motards qui sont nombreux et arborent eux
aussi des minis drapeaux de prières sur leur engin, ou encore les vélos, j’en
ai vu, pédaler entre des camions, avalant la poussière à chaque respiration. Ils
sont bien braves.
There are ultimately quite
a few people on this road. Between the trucks which advance like snails, but
advance all the same, the mini-vans like ours, lugging their batch of tourists
(foreigners or Indians), the bikers who are numerous and also display mini
prayer flags on their machine, or bikes l even saw, pedaling between the
trucks, swallowing dust with every breath. They are very brave.
Leh, notre but, approche alors que le jour se couche sur ces paysages lunaires, vaste immobilité, aride, dépeuplée, arrachant de quoi vivre à une terre dont la surface peu flexible a déjà été grattée.
Leh our goal approaches as the day sets over these lunar landscapes, vast stillness, arid depopulated, tearing enough to live on in a land whose inflexible surface has already been scratched.
Notre voyage aura duré 21h au total. Fourbue, je
rejoins une guest house de la vieille ville. C’est une vieille maison typique
locale qui fera bien l’affaire pour ce soir.
Our trip will have lasted 21 hours in total. Tired,
l join a guest house in the old town. This is a typical old local house that
will do well for tonight.