Je suis face à la mer. J'entends la rumeur des vagues. La marée est montante. La lune est à son apogée et l'eau semble maintenant rugir en s'écrasant. Il y a une brise bienfaitrice qui fait bruisser les feuilles de cocotiers. Et la flûte enchantée de Sujay Bobade s'envole. Je suis arrivée hier, j'ai dormi tout le trajet pour atteindre Goa, un gars a dû m'avertir qu'on était au terminus (heureusement que le train n'allait pas plus loin!). Je partage un taxi avec 2 natifs d'Andorre, en direction du sud et descends dès que je vois un signe pour Agonda. A la jonction, j'apprends qu'il n'y a pas de bus pour y aller. Ils passent par une autre route. Zut. 9 kms en plein cagnard (car il fait chaud, lourd et moite. Le ciel est gris clair, chargé mais la lumière du soleil apparaît toujours. Etrange).
Une moto est arrêtée, un jeune indien à son guidon, propose de m'y emmener. Ok. Il prend soin de ne pas foncer sur la route, elle, bien défoncée!
J'atteins Agonda et trouve une super chambre. Un petit jardin y fait face. Il n'y a personne d'autre (touriste) que moi et quelques membres de la famille.
De suite, je m'y sens bien.
Les après-midi sont redoutables, je reste alors sur la petite terrasse attenante à ma chambre et écoute de la musique. Je fais jouer Gershwin en me prélassant.
Je mange tous les jours chez Fatma qui proposent ses fameux thalis : Aujourd'hui, riz, dhal, carottes au beurre, mélange épicé aux carottes, chou fleur, haricots, haricots aux noix de cachou, bout de pommes de terre au cumin. Tout ceci pour 35 roupies : 1.- Je me gave tous les jours. Les fruits sont superbes. L'ananas est juteux, sucré, goûtu; les bananes sont moëlleuses, parfumées, étonnantes; la papaye enfin apporte une touche fleurie, une belle couleur orangée et une texture veloutée.
Je lis un bouquin d'Alexandra David-Neil, lorsqu'elle visite le Tibet clandestinement, à pied et dans les années 20! Sa manière de voyager est inspirante, étonnante. J'ai l'impression de bourlinguer comme si je faisais partie d'un groupe organisé!
Je passe mes matinées à la plage, profitant des rayons avant qu'ils ne deviennent trop forts. Un jour, 2 hommes viennent à moi et déposent à mes côtés 2 étoiles. Ca ressemble à des oursins mais c'est brun et se trouve être un végétal qui a séché. Les 2 hommes s'en vont comme ils sont venus. Je garde les étoiles, j'aimerais les filmer s'en allant au gré du vent.
Le destin en décide autrement car les voilà déguerpissant plus tôt que prévu. Je ne tente pas de les retenir. Je les regarde avancer, par à-coups sur le sable.
Je croise un copain de Patnem qui m'emmène un jour à Capo de Rama, une belle plage plus au nord. Nous y allons en Entfield, ces vieilles motos pétaradantes. Les environs sont magnifiques, les arbres sont en fruits : les mangues pendent par grappes, les noix de cachou sont collectées et les bananes sont belles jaunes.
Je quitte Agonda et rejoint Arrambol, tout au nord de Goa. Il reste une semaine.
Je croise par hasard Alex, avec ses copines, au marché du samedi soir de Baga. Quel cirque! On en a l'habitude ici en Inde mais là c'est celui du blanc, du riche. Il y a des bars à cocktails partout, de la techno criarde et les prix des produits proposés à prix carrément européens. Les gens qui sont sur le marché ont l'air d'être venus en vol charter pour 2 semaines et ne semblent pas tant avoir une idée des prix, claquant à ne plus savoir qu'en faire. Bref, une sorte de retour télescopé dans notre monde avant l'heure...
Avec Alex, nous nous racontons depuis et prévoyons de nous revoir cette semaine encore. Ils loueront une voiture et viendront sur Arrambol. Sinon, j'ai des fringales comme jamais. Depuis que je suis guérie, je suis tellement contente de pouvoir remanger (et surtout reseller comme il faut) que je n'arrête pas : tartelettes au choco, croissant au beurre, brownie et enfin souvlaki au poulet (1ère viande depuis que je suis arrivée), je profite de tout ce que ce marché peut m'offrir.
Demain, je me rendrais à Pernem afin de prendre mon dernier train pour ce voyage.
J'éprouverais plein de sentiments particuliers en regardant défiler ces paysages des tropiques. Je serais sûrement émue à un moment donné. J'aurais des images du voyage plein la tête, surgissantes, puis une boule au ventre.
Je me poserais ensuite le long du du quai, à quelques mètres du poste de gare. Petite batisse rose. Je m'y asseyerais donc en goûtant aux dernières odeurs du sud. Puis le train arrivera dans un sifflement, comme toujours et je prendrais place dans ma couchette du haut. Je commanderais un thali au gars qui s'occupe de ça et finira bien par passer. Puis je tâcherais de m'endormir, sans grande conviction. Dans la nuit, bercée par le cliquetis du train, je serais entourée des odeurs qui sont exaltées par la chaleur de la journée et se relâchent, comme tout le monde, le soir, quand enfin, la fraîcheur reprend place.
Je trouverais difficilement le sommeil et arriverais chiffonnée à Mumbai. L'instinct de survie sera le plus fort et je marcherais jusqu'à l'arrêt de bus. Je monterais dans le n°1, si je me souviens bien et descendrais à Collaba. Je rejoindrais l'Apollo guest house, où m'attendent mon sac et une chambre. Les boys seront encore endormis, une longue journée les attend. Je passerais la journée à faire les derniers achats, les cadeaux et enfin à ranger tout cela dans mes sacs.
Un taxi m'emmènera jusqu'à l'aéroport, où un long trajet me ramènera en Suisse, ponctué d'attentes interminables.
Je lirais Shantaram, énorme pavé d'un homme aimant l'Inde. J'aurais l'impression d'y être encore un peu ainsi.
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