La route, en descendant, est aussi impressionnante qu'à l'aller. Le bus s'arrête auprès d'un tout petit temple, une maisonnette en réalité, où flotte un drapeau rouge. Un vieil homme vêtu seulement d'un loongi blanc (tissu de coton, noué à la taille), un saddhu, en sort et se précipite dans le bus. Alors qu'il est 6h30 du matin, par un froid glacial, cet homme déambule quasi nu, pour venir nous donner des offrandes... Elles se composent de boulettes de sucre, d'abricots sechés et d'amandes. Tout le monde y a droit. Puis un bâton d'encens est allumé et manquera nous étouffer pour une partie du trajet (mais au fond, c'est cela que j'aime ici aussi). Le tout nous est présenté en échange d'une obole. Etant donné la profondeur du précipice qui borde la route, je ne lésine pas sur le prix...
Lorsque je rejoins Rekong Peo, je décide avant toute chose, de me poser afin de boire un chai et de réflechir à la suite des opérations. Je ne sais pas où j'irais ensuite. Depuis mon dernier voyage dans le haut Himalaya, j'ai fort envie de visiter la Spiti Valley, réputée fort belle. Je ne suis en revanche pas sûre de pouvoir encore y accéder. La route risque d'être bouchée par la neige. Alors donc que j'attends l'ouverture de l'Office du tourisme qui pourra me donner ces informations et le permis dont j'aurais besoin, si je m'oriente dans cette direction, j'observe la rue et son spectacle incessant.
Mon regard est tout de suite attiré par un saddhu, vêtu de noir. Il doit certainement faire partie de la communauté des Ayapas. Il marche avec un trident dans une main et un petit chauderon dans l'autre, d'où émane une épaisse fumée. Un turban lui entoure la tête et il déambule ainsi, le long de la route principale. J'adore ces décalages entre l'ici et le chez nous. J'imagine le personnage Place St-François (pour les non-initiés, prenez la Place Vendôme, où, pour sûr il ne doit pas, non plus, en circuler beaucoup des comme ça...) et je pense qu'il ne ferait pas vieux, comme on dit chez nous, avant d'être enfermé en Hôpital psychiatrique.
Les magasins s'ouvrent, les stores grincent de ce bruit si typique, métallique. La musique des divers transistors jaillit çi et là. Les gamins vêtus de bordeau et beige, se chamaillent sur le chemin de l'école. Les montagnes entourantes sont blanches de neige. L'air est pur. Le chai est bon. C'est une belle matinée qui commence.
Après mes 2 chais, il aura été difficile de localiser le bureau. On m'envoie d'abord dans un grand et austère bâtiment. Il y a de nombreuses portes, toutes fermées ou entre-ouvertes. Je ne vois personne et entends pourtant des murmures. Une bien étrange atmosphère émane de ces lieux, comme dans tous les bureaux de fonctionnaires que j'ai visités en Inde. On dirait qu'un chantier est en cours perpétuel ou que le temps s'est arrêté. Je finis par trouver quelqu'un qui me dit que je dois d'abord aller au-dit Office du tourisme, qui ne se trouve absolument pas à l'endroit indiqué, afin d'obtenir le formulaire du permis.
Bien. Je m'y rends donc et attends l'ouverture du bureau. Les stores des boutiques alentours s'ouvrent, en grinçant toujours. Je prends mon mal en patience, ce qui est devenu une habitude ici. J'en profite pour regarder les alentours, je profite, simplement.
Je suis finalement reçue par un charmant monsieur m'annonçant, qu'effectivement, la route pour Kaza est encore ouverte. Cela change tout. Alors que je pensais visiter les environs et surtout Kalpa en amont, avant de revenir par étapes sur Delhi, voilà que je peux emprunter cette route rêvée et me rendre à Spiti. Fantastique. Je remplis le formulaire, dois cependant attendre l'ouverture d'un autre bureau, afin qu'ils (oui, ils seront deux pour cette démarche) prennent ma photo par webcam, cela me surprend (dans ce coin reculé) et me fait penser que, décidément, tout change partout!!! Je les entends encore, alors que j'ai le regard ébahi par l'étalage de toute cette technologie : "Mettez-vous plus à gauche, plus bas, moins haut la tête..."
Cette étape franchie, il me faut encore faire signer le précieux permis par le manager en chef de la section des touristes, ou quelque chose comme ça, malheureusement en pause-déjeuner... (C'est fait exprès? Non mais parce que des fois, le voyageur moyen en vient à se poser la question!). Pendant ce léger contre-temps, je rencontre alors un allemand, exilé à Vienne, spécialiste de tibétain ancien, qui fait également une demande de permis. Nous allons manger en attendant le retour du chef.
L'allemand visite des monastères et filme (ou photographie) les textes sacrés qui couvrent les parois, en se collant à 2 cms des symboles. Il les retranscrits ensuite chez lui. Je suis fascinée par la passion qui anime cet homme depuis 20 ans maintenant. Il traduit ces textes et travaille dessus mais sans, pour autant, être bouddhiste. Il est touchant avec ces airs d'intellectuel, quelque peu coincé, dans son look vieux garçon.
Il me donne quelques plans sur la région et me parle de Khanum Gompa, situé à deux heures de route. Je décide alors que cela sera ma prochaine étape et finis par sauter dans un bus dont l'allemand a réussi à déchiffrer le nom en hindi. Le doigt levé, je le vois suivre et decrypter les signes. Ses lèvres murmurent alors les syllabes lentement reconnues. Son visage s'éclaire et il me confirme, tout fier en m'encourageant par un sourire , la bonne destination. Pendant ce temps, j'avais pris part, bien malgré moi, à la cohue régnante, m'embarquant dans le bus.
A ce moment-là, effectivement, en général, j'éprouve un peu d'appréhension. Comme à chaque fois que je m'en vais d'un endroit pour en découvir un autre...
Je grimpe donc dans le mastodonde, déjà bondé, parviens à me faufiler à l'avant et m'assieds sur mon sac (que j'adore décidément car de toutes les parties), entre le conducteur et un passager. Le spectacle de la route est bien excitant et mes appréhensions s'en voient vite envolées.