En milieu de matinée, je descends du bus de nuit et prends un autre bus local pour atteindre la Parvati valley. Ma 1ère idée est de me rendre à Khirganga, tout au bout de la route, à environ 3000 mètres d'altitude. J'apprends que ce ne sera pas possible car il y a 1m50 de neige qui recouvre le hameau et a même détruit des dhabas (petite échoppe à chai). Je verrais bien ce que je ferais ensuite. Pour l'heure, je monte dans un bus qui me mène jusqu'à Manikaran, lieu saint avec sources d'eau chaude... C'est déjà ça...
Je passe tout le trajet à roupiller sur la banquette recouverte de molesquine. Je suis totalement groggy lorsque j'arrive à destination. L'autrichien descend aussi. Vue sur ce superbe temple, au toit blanc qui pointe vers le ciel.
Un pont surplombant la Parvati sacrée rejoint les rives. Le village longe la rivière, s'étirant en longueur et se constitue de bicoques en bois et de maisonettes en dur. De petites ruelles, pleines d'échoppes aux breloques, mènent à la place du village, puis au temple. Sur le chemin, 2 saddhus nous arrêtent. L'autrichien leur demande quelque chose en hindi que je ne comprends pas et me retrouve à suivre les saddhus pour boire un chai. Il faut déjà les voir avec leurs dreads énormes, enroulées sur la tête et soutenues par une écharpe. Le regard est direct et défoncé, fumer le shilom étant l'une de leur principale activité, tel Shiva l'eût fait. "Un don des Dieux". Catapultée au chai shop, j'écoute l'autrichien et les saddhus philosopher. A nouveau, je sens mon côté spirituel inexistant et me trouve quelque peu décalée ici. Cela doit être dû à la fatigue.
Le saddhu qui parle le mieux en anglais se met à chanter, pour son Lord Shiva. Je reçois un Mala, collier de prières en perles. Il semblerait que j'aie un bon karma, comme celui d'une toute jeune fille (est-ce que ça veut dire que mon chemin sera long et mes réincarnations nombreuses???), sa fille. Soit. Pas très rassurant puisqu'il répète sans cesse être un homme fou... Certainement... Il détonne un peu.
Je prends enfin une chambre après cette arrivée rocambolesque dans ce nouveau lieu. Je ressors afin d'explorer les environs, le temple d'abord, si plein de vie avec ces belles couleurs qui flottent. De la fumée s'échappe en certains points de la rivière : ce sont les sources d'eau chaude. Ceux qui viennent prier au temple, déposent en même temps dans des pools, un balluchon contenant du riz, cuisant le temps des prières! Ce sont autant de lieux saints. Quel must de cuisiner et manger grâce à l'eau sacrée!
Je continue mon chemin et me pose là où je croise la femme qui tient le chaishop des saddhus. Elle contemple la vallée en fumant un biddi. Les femmes sont plus libérées par les montagnes. Nous parlons, écoutons le silence, relatif, la rivière dévalant non loin. Son rugissement ne parvient toutefois pas à cacher le chant des oiseaux. La Madame part aux morilles. Je ne la suis pas, étant bien trop fatiguée pour ce faire. J'erre un moment dans les rues, soupe et rentre me coucher, il est 7 heures du soir!
Le lendemain matin, je me sens un peu moins décalée, sauf au niveau du look peut-être, mes nouvelles lunettes ayant un petit air venant de la "City". Je me rends au chaishop, la priorité suite au réveil. Je me réchauffe les jambes à côté d'une sorte de wok contenant des cendres, déposées à l'instant par la Madame, qui semble me prendre en sympathie. C'est plus qu'agréable par cette fraîche matinée. Nous discutons le temps d'un biddi. Aujourd'hui, je compte descendre jusqu'à Kasol par le sentier que j'ai découvert hier. Il longe la rivière agréablement, je me croirais presque en Suisse : même fond d'air frais, sapins et pics enneigés.
Un chemin idéal, en pente douce abrité d'arbres aux troncs longs. Ca bourgeonne de partout, des éclats rosés, pourpres ou blancs pour les fleurs. Les feuilles, quand à elles, se disputent le vert le plus éclatant, alors que certaines osent les orangés. C'est de toute beauté, je me sens bien et me dis que j'ai de la chance.
Je fais une pause et me vois suprise par une lignée d'aigles, plânant à 7 mètres au-dessus de ma tête, en file indienne. Ailes déployées, ils ont une probable envergure d'un mètre ou peut-être davantage. Le ventre est blanc, semble doux et s'étire jusqu'au bout de la queue et des ailes, qui s'ourlent enfin de brun. Ce n'est que grâce, aisance et beauté!
Je croise enfin le pont qui me fera rejoindre Kasol.
Là, une masse se déplace jusqu'à moi, à la façon de Gollum et dépose un bout de carton à ses pieds. Vêtue de noir, en pièce raccomodée, le pull pendouille. Les cheveux sont châtains et presque rasés, enfin, on ne sait pas trop. La peau est brunie peut-être par le soleil mais surtout par la crasse. Puis la femme, une américaine, s'en est une, me regarde et me demande de l'argent, 500 roupies, une somme énorme ici. Je veux lui proposer à manger ce qu'elle refuse, elle veut de l'argent et me le répète, ce sont les seules choses qu'elle dit pratiquement. Sympathique. Elle me laisse une étrange sensation lorsque je la quitte. J'essaie d'imaginer sa vie, pourquoi elle en est arrivée là. Je suis troublée dans mes réflexions quelques instants plus tard lorsque la même femme hurle sur un groupe de gens, passant par là (et n'ayant pas voulu non plus lui donner de l'argent?!). C'est triste.
Je découvre Kasol et m'en vais manger dans un restaurant, semblant être the place to be, accueillant le blanc, fumant du charas en contemplant la vue. 3 indiens à l'air inspiré sont assis non loin. Ils font tous faces au panorama, ils le décrivent en anglais, avec leur typique
indian accent, qui a le don de m'amuser, m'attendrir. L'un d'eux, le plus excentrique, s'est enroulé un turban autour de la tête et porte des lunettes de soleil "de la ville". Il chante des ragas qui ont, heureusement remplacés les chansons des Beattles (pas les meilleures) et ce serait encore mieux s'il ne chantait pas!
Je pense à la fin de ce voyage, il reste moins d'un mois maintenant, le compte-à-rebours à commencé. Le temps va passer encore plus vite. Les villages situés en amont que je pensais pouvoir visiter restent inatteignables. Je vais donc rester ici encore quelques jours. Dans mon hôtel il y a de l'eau chaude de la source. Une sorte de grande salle de bains constamment embuée, avec un bassin en son milieu, rempli de cette eau. Je ne parviens pas à m'y baigner, trop chaud! Mais quel bien de se rincer ainsi. Je n'ose plus compter depuis la dernière fois où j'ai eu de l'eau chaude à profusion!
Ce matin, avant de partir pour Kasol, je me suis rendue au chaishop. Vous l'aurez compris, beaucoup de choses se passent, se vivent là. J'y croise un enfant saddlhu, dreads longues et enroulées également dans un turban. Il vit avec son guruji, son maître. Il doit avoir 10 ans. Est-ce qu'il fume déjà???
Plus tard dans la journée, au même chaishop, je rencontre un anglais, aux dreads énormes, riant de toutes ces situations loufoques s'enchaînant depuis quelques instants. Il est attablé avec 2 indiens. Le plus vieux des 2, boit un chai, sort tous les biscuits de leur paquet, les pose sur la table, marmonne bizarrement, a l'air fêlé quoi. Je réalise alors subitement que tous les gens que j'ai rencontré jusqu'à présent (du moins ceux fréquentant ce chaishop) ont un air fou. Le 3ème gars assis à leur table n'a pas l'air méchant mais a de grands yeux exhorbités et fixants. Je ne sais pas ce que c'est exactement mais il y a quelque chose ici d'un peu follo : le croisement entre les cousins de la vallée, la fumette, le lieu saint font autant de facteurs pouvant attester de cette observation... Ca ne laisse pas mon esprit serein, si je peux m'exprimer ainsi et c'est loin d'être l'ambiance que je m'étais imaginée pour la fin de ce voyage. J'aurais aimé quelque chose d'un peu moins... torturé en quelque sorte...
J'hésite à aller rejoindre Nadja à Mcleod Ganj. La communauté bouddhiste est fortement implantée là-bas et l'ambiance sera peut-être moins ravagée?! Après une bonne nuit de sommeil, je décide de passer ma dernière journée à Manikaran avant de partir le lendemain matin pour Mcleod. Je suis un peu coupée dans mon élan, j'ai besoin de chaleur et n'aime décidément pas me réveiller en me ruant sur mes fringues et autres couvertures pour tenter d'en trouver, de la chaleur. Il aurait fallu que je me prépare à avoir froid... Il m'aura surprise, la saison est étrange ici aussi, en ayant fortement tardé à venir.
Et voilà qu'il m'arrive un truc bizarre ce matin. J'étais au chaishop, attendant ma commande lorsque je commence à me sentir mal. Je sors, me dirige vers une guest house à la recherche de toilettes, quand ma vue devient progressivement toute blanche, tous contrastes s'estompant inexorablement. Mon ouïe se trouble, j'entends tout au loin. Je finis par ne plus rien voir, titube et m'assieds, au milieu de la place. Je respire calmement puis tout revient gentiment, les couleurs, la rue. Après cette chute de pression, je me rue aux WC et me vide.
Je vais mieux après, continue ma journée et me persuade que c'est décidément une bonne idée de partir d'ici. Je me renseigne pour les bus et le trajet risque de me prendre la journée.
Je passe une nuit terrible, courant régulièrement aux toilettes, avec des crampes au ventre douloureuses. Je suis néanmoins réveillée à 6h et décide de partir coûte que coûte. Je dors ou somnole tout au long du trajet jusqu'à Bhuntar. De là, je prends un autre bus, en direction de Dharamsala (juste en-dessous de Mcleod Ganj), mais c'était juste en direction car après 6h de trajet, où j'ai resomnolé pour la plupart du temps, il m'a fallu prendre un 3ème bus pour 2 autres heures et encore un 4ème ensuite jusqu'à ma destination finale...
Si j'avais su...
Suis arrivée pathétiquement, ai pris une chambre, très mal localisée en bas d'un escalier que je peinerais à gravir les jours suivants pour joindre le village. J'ai dormi pendant 15 heures non-stop. Et là, a commencé la sérieuse chiasse, vous m'excuserez la si peu charmante expression : je pisse du cul.
J'arrive à me mouvoir jusque chez un docteur tibétain, qui m'a senti les pouls en me demandant confirmation concernant mes selles liquides. Il m'a ensuite donné des boulettes brunâtres et infâmes à avaler. Depuis, je tâche de me reposer bien que je continue à me vider. Je tente le jeûne pour que le poison s'en aille et finis par remanger du riz et des carottes en espérant que ça calme le jeu...
Je suis cloitrée (WC à proximité...) dans une chambre sans chauffage qui me glace les os alors que le soleil brille fort au-dehors. Je n'en peux plus, dès que mon corps le permet, je descends la vallée et prends un train pour Delhi. Mon état intestinal m'inquiète un peu. J''espère qu'il est dû à une bactérie attrapée en mangeant et non pas une tournure bizarre suite à mes staphylocoques. Mes plaies sont plus ou moins guéries mais peinent encore à cicatriser complètement.
Je peux à peine parler de Mcleod, puisque je n'ai pas eu la possibilié de quitter ma chambre souvent. Ca grouille de tibétains et de leur artisanat. Les femmes portent des chubas, ces robes se nouant dans le dos. L'ambiance est au buisness semblerait-il, comme partout une fois que l'on y repasse, quelques années plus tard : davantage de shops, de restos et d'hôtels. Les montagnes environnantes me rappellent celles de la Suisse, avec plus d'aigles qui plânent. Les touristes attirés ici sont d'un autre genre que ceux de la Parvati, aussi. En recherche spirituelle, prenant des cours de bouddhisme, langue ou cuisine tibétains, yoga, reiki, j'en passe et des meilleurs.
Après quelques jours dans ma chambre, il me semble aller mieux. Je pars donc pour Delhi. La route me bouscule en tous sens mais mon estomac tient le coup. J'ai l'impression, du moment que je bouge, l'esprit (de survie?) prend le dessus et le corps suit.
J'atteins Pathankot, un de ces trou de l'Inde qui peut avoir un air effrayant. On voit de telles personnages sur les quais des gares parfois... Des vieux à la barbe longue, vêtus de loongis oranges, autour de la taille, du buste, de la tête et un autre encore autour du cou. Ils marchent avec un bâton, ont un point rouge sur le front et des sandales parfois. L'un d'eux s'assied le long des rails, relève ses tissus et se soulage ainsi, accroupi devant tout le monde.
Il y a plusieurs vendeurs ambulants. Ils ont une sorte de carriole et dessus, un wok posé plein d'huile, où frient des mini-crêpes qui se mettent alors à gonfler, pour se revider enfin. Ils servent avec, dans les fameuses petites coupelles faites de feuilles séchées, différentes préparations de légumes ou pois chiches. Les gens s'asseyent ensuite, à même le quai et entament leur repas. Ces crêpes me donneraient presque envie (bon signe) mais ne suis pas convaincue que la friture me soit conseillée, pour l'heure...
Par chance, ce coup-ci, le train n'a quasi pas de retard. Je dois demander à une vieille personne de quitter ma couche, convoitée car en hauteur, garantissant ainsi de pouvoir dormir le lendemain matin. J'ai tendance à être insomniaque dans les transports en commun, sachant à l'avance que la nuit sera difficile. Je vais alors me poser sur les marches de la porte, entre 2 wagons. J'observe la nuit, je vois des phares de camion qui longent les rails. J'entends même parfois de la musique qui jaillit de ce qui semble être nulle part. Puis elle disparaît, comme elle est venue. Je retourne me coucher.
J'ai l'esprit cotonneux, la cadence du train, le bruit régulier des rails chevauchés par les wagons font que j'ai presque l'impression d'entrer en transe. Ce ronron rassurant finalement, cesse. Alors le silence du grand nulle part emplit l'espace. C'est relaxant. Le train est arrêté pour laisser la priorité à un autre. S'en suivra un sifflement qui déchire la nuit mais surtout les oreilles. Les vitres se mettent à trembler et l'on dirait que tout va s'écrouler. Puis le calme revient et le train part enfin, reprenant sa cadence. Après avoir été violemment réveillée, je me rendors, bercée par l'exténuement.